Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est important de relater quelques coutumes propres à cette région montagneuse.
Rappelons d’abord que chacune des Sept Vallées du Labeda gardait entière son autonomie ; il y avait peu de pénétration de l’une à l’autre du fait des difficultés de communication. L’amour de la liberté était très développé chez le montagnard et cette indépendance a créé chez lui un individualisme exagéré, allié à une grande fierté et à une certaine méfiance. Ce n’était pas un peuple paisible ; ils étaient tous armés et ont toujours réussi à rester libres par la guerre et les armes.
Ils avaient une véritable langue romane, avec ses règles, sa littérature et sa poésie.
La religion et l’Eglise constituaient une force considérable ; autant la noblesse et les seigneurs possédaient un nombre important de privilèges autant l’Eglise et les curés étaient respectés ; des exemples précis montrent comment « l’Interdit » prononcé par un évêque peut jeter la consternation et punir toute une vallée.
L’histoire des Sept vallées est d’ailleurs liée très intimement à celle de deux puissantes Abbayes : celle de Saint-Orens et celle de Saint-Savin.
DROIT D’AÎNESSE
Dans ce pays fermé et séparé du reste du monde par la difficulté d’accès et la rigueur du climat une règle fut le fondement de la vie de famille. La coutume lavedanaise, en vue de conserver le même bien dans la même famille, avait une règle particulière. Elle décidait que le premier né, garçon ou fille, serait l’héritier de la terre ancestrale. Les cadets, ainsi dépossédés, ne pouvaient quitter la maison et s’engager ailleurs sans le consentement de l’ainé(e) et cela sous peine de perdre tous droits à une illusoire « légitime » (c’est-à-dire la dot).
D’autre part un héritier ne pouvait se marier qu’avec une cadette et, inversement, une héritière ne pouvait épouser qu’un cadet ; si celui-ci conservait son nom, en revanche les enfants d’un cadet, devenu le mari d’une héritière, gardaient le nom de la mère, c’est-à-dire de la maison.
Cette coutume se perpétua longtemps, même après la Révolution.
DROIT D’ENTRÉE
A l’occasion d’un mariage une redevance en argent était exigée du gendre ou de la bru qui allaient devenir habitants d’un village et ce au profit de ce village. Elle se justifiait par le fait que ces nouveaux venus allaient être admis à participer à tous les droits et privilèges du lieu.
LES ABBÉS LAIS OU ABBESSES LAIES
Il s’agit d’une institution très particulière des Hautes vallées Pyrénéennes. En 1783, par exemple, en Val d’Azun et en Estrème de Salles, on trouvait les Abbaies Lais suivantes : Gez, Ouzous, Salles, Sère, Arcizans-Dessus, Arras et Sireix.
C’était des laïcs, propriétaires terriens. Ils possédaient de façon héréditaire la dîme de leur paroisse et le droit de cure ; ils avaient droit d’entrée aux Etats de Bigorre.
Leurs maisons, ordinairement proches de l’église, quelquefois contiguës étaient réputées Nobles et, par conséquent, exemptes de la Taille, ainsi que les terres en dépendant.
Ils touchaient les revenus de la paroisse (la dîme = un dixième de la récolte, mais variable selon les vallées ). Mais ils étaient tenus aux frais d’entretien de l’église et au traitement des curés.
Ils avaient droit de nomination du curé ; ils s’arrangeaient souvent pour que ce soit un fils cadet à qui on avait fait faire quelques études et qui vivait dans la maison. Il était présenté à l’évêque qui ne refusait jamais.
Comme le droit d’aînesse le titre d’Abbé lai ou Abbesse laie se transmettait dans la même famille au profit du premier né fille ou garçon.
Certains privilèges se trouvaient liés à ce titre : droit d’être en tête des processions (Fête Dieu, Rogations, etc…). Un banc leur était réservé tout contre l’autel. Ils recevaient toujours les premiers coups d’ostensoir. Leurs tombeaux se trouvaient sous l’Autel.
La communauté civile était représentée par le Syndic
DROIT DES FEMMES
La « Coutume de Barèges » définit comme suit ces droits : « les femmes héritières peuvent non seulement aliéner leurs biens, mais consentir généralement toutes sortes de contrats sans l’autorisation de leurs maris ».
Il en résultait une place prééminente au foyer pour cette « héritière », et qu’en plus de ces droits familiaux et civils elle jouissait des droits politiques les plus étendus ; elle prenait part aux Assemblées Générales avec voix délibérative et accessibilité aux charges.
Noble, elle héritait de la seigneurie de son père, comme les enfants mâles, témoin les Comtesses de Bigorre ; bourgeoises ou paysanes, elles prenaient part aux discussions d’intérêt général ou local.
S’agissait-il de paraître devant les tribunaux elles pouvaient remplir le rôle de défenseur.
SOULÈVEMENTS
Au cours des siècles de nombreux soulèvements se produisirent.
Exemples :
Les troupes royales furent mises en déroute et les Lavedanais eurent le maintien de leurs privilèges par Lettres Patentes du 25 septembre 1654.
Un soulèvement général eut lieu contre l’établissement de la Gabelle : l’âme de la résistance fut Bernard Audijos qui, pendant quinze ans, tint en échec les troupes royales. Sept mille Lavedanais et Azunais s’étaient enrôlés sous sa bannière.
CRIMINALITÉ
Les difficultés du pays et l’éloignement de tout centre avaient fait du Lavedan un repaire de malfaiteurs et les Officiers de Police Royale n’osaient pas les y poursuivre. Dans un Arrêt du Parlement de Toulouse du 16 janvier 1667 il est dit : « Il se commet tant en Azun que dans les autres parties du Lavedan une infinité de meurtres, assassinats, guet-apens, larcins… » Aussi un Concordat fut passé entre les Consuls du Lavedan et le Sénéchal de Bigorre : les Consuls devaient faire à leurs frais et dépens la poursuite des criminels.
RÉCIT : CATALINA D’ABBADIE
Catherine d’Abbadie (Catalina en bigourdan) Abbesse Laie et héritière de la maison d’Abbadie d’Arcizans-Dessus avait épousé Jean de Cazayous.
Ils eurent plusieurs enfants :
1 Jean, l’ainé qui, parti du pays, ne revint plus ;
2 Andréba, qui épousa Pierre Plaouzet ; elle devint héritière et abbesse laie au décès de Jean l’aîné ;
3 Doumenja qui au 1 janvier 1687 était veuve de Jean de Bordes, d’Arcizans ;
4 Jean qui était curé d’Arcizans.
On ne connait pas le nom des autres enfants ; mais à cette époque les familles étaient nombreuses et comportaient beaucoup de cadets et cadettes qui n’avaient pu partir ; il y avait aussi les grands-parents, des oncles et des tantes, parfois deux ou trois curés ou prébendés et parfois des ouvriers qui vivaient à demeure dans la maison.
Jean, le mari de Catalina, mourut au début de l’année 1663.
A une certaine date Jean de Cazayous et Catalina avaient fiancé leur fils Jean avec Jeanne de Hountaa, sœur de Jean de Hountaa et fille de Jacques et Andréba de Hountaa. Ils avaient reçu la somme de 565 écus petits, suivant Pacte de Mariage.
On ne sait pas pourquoi Jean, fils de Catalina, tardait à épouser sa fiancée.
Le 8 mai 1663 Jean de Hountaa frère de la fiancée, en présence de Catalina alors veuve, dans la maison de Casau d’Arcizans-Dessus, et par devant Maître Julian Noalis, notaire Royal et Apostolique à Arras, rappela les Pactes convenus, la somme versée par ses père et mère, les diverses demandes d’accomplissement du mariage ou la restitution de l’argent.
Il la somma de faire accomplir ce mariage au plus tôt ou bien de restituer l’argent.
Catalina répondit qu’elle s’informerait des intentions de son fils, promettant de rendre l’argent s’il refusait d’épouser.
Jean d’Abbadie, son fils, quitta le pays et ne revint jamais.
Au mois de décembre 1663 la maison d’Abbadie fut le théâtre de scènes imprévues et tragiques :
Domenja Despones, enfant de 11 à 12 ans, fille de Pierre Despones habitant du village, était allée le 14 du mois de juin en la maison d’Abbadie ; depuis elle n’avait plus reparu. Son père, inquiet, était allé demander des nouvelles à Catalina d’Abbadie dont la jeune Domenja était cousine germaine ; il n’en aurait rien appris. Catalina aurait méchamment fait courir le bruit qu’il avait lui-même assassiné sa fille. Longtemps Pierre Despones n’eut que des soupçons ; mais au mois de décembre, sur des renseignements qu’il avait acquis, il convoqua pour le 31 du mois, en vertu du Règlement de Police du lieu, les Consuls, la Patrouille et les habitants à l’effet de faire rechercher sa fille dans les maisons du village.
Ce jour là les Consuls et de nombreux assistants allèrent dans la maison d’Abbadie, appelèrent Catalina et, malgré ses protestations, commencèrent à creuser autour des murailles et des fondements de la maison. Ils cherchèrent longtemps, remuèrent beaucoup de meubles sans rien trouver jusqu’à ce que Pierre Despones eut remué dans le cellier un vieux coffre à grain.
Alors que Catalina s’était enfuie furtivement ils creusèrent davantage et sortirent quelques lambeaux d’habits d’une fille.
A ce moment les Consuls appellent Maître Barthélémy Forcade, prêtre et curé d’Arcizans-Dessus, délibèrent et font déterrer un corps humain qui est celui d’une fille de 10 à 12 ans avec les habits déchirés. Ils décident de l’ensevelir immédiatement à cause de la pourriture.
Le curé fait sonner les cloches et le corps enveloppé d’un suaire est transporté à l’église paroissiale. En sortant du cimetière, procès verbal est dressé par le Notaire Maître Julian Noalis
Ils s’avisèrent alors de poursuivre Catalina qu’ils trouvèrent cachée dans la grange de Saunères. Ils se saisirent d’elle, appelèrent le Syndic de la vallée d’Azun pour la conduire aux prisons royales.
Que s’est il passé ?
Pourquoi Catalina s’enfuit-elle ? Veut-elle sauver quelqu’un de sa famille et faire en sorte que les soupçons se portent sur elle ?
Pourquoi son fils Jean vient de disparaître et n’est pas revenu ?
Qui d’autre dans la maison pouvait être le coupable ?
La petite Domenja Despones aurait pu être attirée dans cette maison qu’elle connait bien, être victime d’un viol, d’une tentative de viol, et être supprimée.
On se perd en conjonctures car le procès n’a rien apporté de concret.
Il y avait du monde dans la maison d’Abbadie.
Les mœurs étaient assez libres. Que de fois n’a-t-on pas rencontré des testaments de curés de cette époque laissant des biens à un, deux ou trois de leurs bâtards.
Catalina fut alors conduite aux prisons de Tarbes par les soins du Syndic d’Azun. Elle fut condamnée par la Cour du Sénéchal.
Elle fit Appel au Parlement de Toulouse qui par un Arrêt la condamna au bannissement.
Ses biens furent saisis et Maître Jean Buron de Tarbes, Procureur du Sénéchal, lui fut donné pour Curateur.
A la suite de ces faits, ses biens furent mis aux enchères et adjugés à la famille de Jean de Hountaa, créancière de Catalina de 565 écus petits. Ils furent ensuite revendus et adjugés à Pierre Forcade curé d’Arcizans-Dessus.
Que devint Catalina d’Abbadie ?
Malgré sa condamnation Catalina n’avait pas quitté le pays.
Mais comment redevint-elle héritière et abbesse laie de la maison d’Abbadie ? Nous l’ignorons. Car par un arrêt du 13 septembre 1678 la Cour réintégra Catalina dans tous ses biens.
Sa fille Andréba devint héritière et Abbesse Laie en 1682.